Blanche de Castille, Le Chêne la Reine, le Peigne d'Argent...
Mon village
Mon petit village promène dans mon souvenir un nom qui évoque tout un passé, un nom qui chante...
Ecoutez ce qu'il nous confie...
Un grand bruit de guerre qui gronde, des cris, les grands arbres ont frémi.
La Reine Blanche de Castille, entourée dans son royaume, est suprise par ses ennemis. La suite est prisonnière ou s'est enfuie. Relevant sa longue robe, la Reine fuit à travers les arbres. Quelle course! On en parla longtemps parmi la gent ailés...et les lampins durant les longs soirs d'hiver aiment à raconter comment un grand chêne le plus vieux de la forêt, qui ombrageait toute une clairière, eut l'honneur de protéger la royale fugitive... Ce Chêne était tellement vieux que son coeur était vidé : la Reine put y trouver place et se cacha tout un jour et toute une nuit dans le tronc protecteur.
Et depuis, les bûcherons de l'endroit se sont installés dans la clairière.
Par une belle nuit de clair de lune, le chêne a conté ce sauvetage et pour en transmettre le souvenir à leurs enfants et aux enfants de leurs enfants, ils ont appelé leur village : Le Chêne la Reine.
Longtemps, longtemps après...
C'est au temps de la très gracieuse Souveraine Marie-Antoinette...
Une chasse à courre dans la forêt : la meute aboie, les chevaux bondissent, le cerf fuit...
Les forestiers s'appuient sur leur bache, les yeux écarquillés; ils admirent le chatoiement des soies et des velours, et ils voudraient apercevoir le Roy...
Dans leur clairière, tout près des huttes, arrive un cortège de féerie. Sa très gracieuse Majesté, sur une belle jument alezane, conduite par un écuyer, escortée de nombreuses dames d'honneur...
"Bonnes gens, je vais m'asseoir à l'ombre de ce grand chêne pour me reposer...".
Tous se précipitent : la forêt reçoit sa souveraine : l'herbe se fait douce, douce; les oiseaux intimidés, se taisent sur les hautes branches... Un grand souffle charmé fait frémir les feuilles... C'est alors que la Reine s'aperçoit de la disparition de son beau peigne d'argent, cadeau de sa mère très aimée.
Vite on s'affaire, on cherche. Tous, les ecuyers, les valets, les invités, les dames d'honneur même, et les modestes bûcherons aussi scrutent les allées, les fourrés, les taillis. Pas un brin d'herbe que le regard n'ait touché.
Et c'est un pauvre bûcheron, si pauvre et si modeste que sa cabane occupait le petit coin reculé de la clairière, qui trouve le joyau...
Il le rapporte à la Reine joyeuse et douce qui le félicite et lui offre sa bourse...
Et les pièces d'or ont bâti un vrai village, autour du chêne porte-bonheur, un vrai village heureux... Les habitants reconnaissants l'ont appelé Le Chêne la Reine tandis qu'à l'extrémité de la clairière, la hutte modeste et effacée gardait pour toujours le nom-souvenir Le Peigne d'Argent.
Et depuis ce temps-là, mon petit village s'endort chaque soir près de la forêt, ou peut-être les grands chênes rêvent encore aux spendeurs des Reines d'autrefois...
Juin 1946 - SL et JV